Eric Coquerel est Secrétaire national du Parti de gauche, force politique co-présidée par Jean-Luc Mélenchon et membre du Front de gauche. Alors que son mouvement organise ce weekend une cinquantaine de « marches citoyennes » dans tout le pays – et même en Grèce, en Espagne et au Portugal -, il a répondu à mes questions sur la « Manif pour tous », qui a rassemblé, à plusieurs reprises, des centaines de milliers de personnes dans les rues.

A noter : Eric Coquerel s’est aussi exprimé sur le bilan de la manifestation du 5 mai, ainsi que sur les élections européennes et municipales. Une grande interview sur la stratégie politique du Front de gauche sera donc bientôt publiée.

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1) La dernière « Manif pour tous » a réuni autant de monde que la précédente, alors que la loi est passée. Ca vous étonne, cette mobilisation qui dure ?

Éric Coquerel. Je ne suis pas surpris. Premièrement, à un certain moment, le gouvernement a paru tergiverser, ce qui a permis au mouvement de perdurer. Deuxièmement, l’Eglise catholique est très à l’oeuvre, en termes de financement, on retrouve exactement le même canevas que pour l’école privée. Et puis en réalité, tous ces gens n’ont pas grand chose à dire au gouvernement sur sa politique économique – quand on débat avec des gens de l’UMP, ils ont beau dire qu’ils feraient différemment, dans le détail, Hollande applique les mesures que Sarkozy voulait -, donc ils ont décidé de miser sur ce terrain. La droite a beaucoup de mal à mobiliser massivement, parce que, bon an mal an, vous avez des ouvriers de droite qui sont bien contents de profiter des 35 heures par exemple. Dans l’Histoire, vous n’avez jamais eu de grandes manifs de droite contre les retraites, les acquis, etc. C’est toujours déporté sur des mesures sociétales. Le mouvement actuel illustre la mobilisation de l’opposition, qui continue d’exister dans ce pays, qui est bien là.

 

2) Du coup, ce n’est pas particulièrement inquiétant ?

E. C. Si, car c’est le début d’un terrain d’entente entre le FN et une partie de l’UMP, qui fait suite à la dédiabolisation. Il y a deux structures au coeur de ce mouvement : l’Eglise catholique et l’UMP-FN. Ce qui est inquiétant, c’est la porosité entre le FN et la droite classique républicaine. De ce qui nous revient de toutes nos discussions sur les marchés ou ailleurs, on a l’impression que les digues sautent.

 

3) À posteriori, diriez-vous que la gauche ne s’est pas suffisamment mobilisée sur la question ?

E. C. Il y a eu des manifestations. Mais je crois qu’avec notamment les sondages disant que la majorité des Français étaient pour, les gens se sont dit « bon bah ça va passer ». Il y a eu un deuxième réflexe : au-delà des gens qui s’intéressent de près à cette question, c’est quand même très difficile d’aller mobiliser massivement une population en faveur d’une loi – et donc d’un gouvernement – alors que cette même population vit des choses très dures avec le chômage. Il y a un niveau de décalage. C’est pas ça qui semble prioritaire pour notre population, et on ne peut pas leur donner tort. Je pense qu’une grande majorité des Français est pour ou n’a pas de raison de s’y opposer, mais pas de là à aller se mobiliser, alors qu’ils ont déjà du mal à se mobiliser pour des choses qui les touchent comme les fermetures d’entreprises ou les réformes sociales qui ne vont pas dans le bon sens.

 

LA QUESTION BONUS

Anna Rosso-Roig, candidate pour le Front de gauche aux élections législatives, le sera pour le Front National aux municipales, à Marseille. Faut-il en tirer des leçons ? 

E. C. Chez elle, il n’y a rien. Il aurait fallu être attentif. Regardez son parcours : elle a sans arrêt évolué. Je pense que c’est plutôt quelqu’un qui n’est pas vertébré politiquement et qui a cherché à se placer. Il n’y a pas d’indication. Elle n’aurait jamais du être candidate pour le Front de gauche.