« EXPLOSIF ! », c’est la Une de Marianne cette semaine, avec les visages de Louis Gallois, François Hollande et Arnaud Montebourg. L’hebdomadaire s’intéresse bien sûr au fameuses décisions du gouvernement Ayrault pour la compétitivité. Celles-ci constituent, selon Marianne, un « grand virage du pouvoir ».

Le terme « virage » est bien choisi. Mais à mon avis, son caractère « explosif » est moins pertinent. François Hollande étant un social-libéral, les décisions gouvernementales de la semaine ne peuvent si fortement étonner que ceux qui ont cru un jour que ce président était socialiste…

Explosif alors, ce virage ? Il pose en tout cas problème, d’abord sur le plan politique :

  • Le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice) est « un véritable ‘pousse-au-jouir’ du patronat et de la droite », écrit Marianne. Et quand la gauche fait jouir ses opposants, il y a de quoi rester perplexe (au mieux).
  • Socialistes et écologistes sont mécontents sur la méthode : il n’y a pas eu de concertation, les partis n’ont pas débattu, les partenaires sociaux n’ont pas été entendus.

Sur le plan économique, le député Mathieu Hanotin dit ses deux grandes craintes :

  • Que « sous prétexte de compétitivité, nous nous jet[i]ons dans la compétition à tout crin dans la zone euro » ;
  • Et que « les 20 milliards d’euros de crédits d’impôts [soient] tout simplement convertis en simples profits pour les entreprises et leurs actionnaires ».

Le dossier de Marianne comprend aussi une liste des « gagnants » de ce virage…

  • Laurence Parisot : le CI, c’est « un élan, un essor nouveau », selon la patronne du Medef.
  • Louis Gallois : il ne s’attendait pas à voir ses recommandations aussi largement et rapidement reprises par le gouvernement.
  • Manuel Valls : aux primaires socialistes, l’ex-futur ministre de l’Intérieur avait défendu une « TVA protection » ; il avait même déclaré que « la TVA sociale est une mesure de gauche ».
  • André Martinez : camarade de François Hollande à HEC, conseiller spécial à Bercy, aujourd’hui sorte de messager entre le Président et le milieu patronal, il a beaucoup insisté sur la compétitivité.

…et de ses perdants :

  • Jean-Luc Mélenchon : « on découvre qu’on s’est débarrassé de l’homme [Sarkozy] mais qu’on a gardé la politique », déplore le co-président du Parti de gauche.
  • Karine Berger : la secrétaire nationale du PS à l’économie, membre de la Commission des finances à l’Assemblée nationale et proche du ministre Pierre Moscovici, s’était battue contre les idées de baisse du coût du travail et d’augmentation de la TVA, au nom de la croissance par la consommation.
  • Cécile Duflot : elle préparait un plan pour favoriser la rénovation et l’isolation des logements des particuliers, mais voilà que le taux de TVA applicable à ces travaux passe de 7 à 10%.
  • Les restaurateurs (?) : le syndicat hotellier Umih se plaint aussi du relèvement du taux intermédiaire, qui vaudrait la suppression de 30.000 emplois. Mais Marianne tempère : Bercy a un temps pensé les aligner au taux normal, donc c’est déjà ça d’évité ; et ils bénéficieront du crédit d’impôt…

Il y a enfin Arnaud Montebourg, Ministre du redressement productif et en cela nouveau grand ami des industriels. Selon Marianne, il est le « vainqueur aux deux tiers » de ce revirement de l’Exécutif socialiste :

  • C’est lui qui avait mis en scelle Louis Gallois.
  • Il avait directement proposé à l’Elysée la création d’un crédit d’impôt de 20 milliards, financé par une taxation écologique et une diminution des dépenses publiques. C’est presque ce qui a été décidé par le gouvernement (seulement « presque », car la TVA a été préférée aux nouvelles réductions de la dépense publique et la fiscalité écologique est repoussée à 2016 – d’où le vainqueur « aux deux tiers »)

Le « redressement productif » semble d’ailleurs devenir la grand cause nationale, le nouveau cap fixé par l’Elysée, sensé être illustré par cette « TVA compétitivité ». Selon Marianne, l’Exécutif socialiste prend la Suède pour modèle. Traduction : pour s’en sortir, le pays va « restructurer son économie et son Etat », « produire mieux », tout en conservant son « haut niveau de solidarité ». Et il attendrait, pour cela, la coopération des partenaires sociaux.

Il reçoit en tout cas le soutien d’un homme : Jacques Julliard. L’éditorialiste de Marianne (qui cette semaine prend position pour Fillon et contre Copé pour la présidence de l’UMP – autre sujet) semble convaincu par la démarche du Président Hollande, avec qui il s’est entretenu (à lire en page 22). Tout juste reste-t-il au Président à « convaincre les français ». Si j’ai bien compris ce qu’écrit Jacques Julliard, voici son raisonnement :

Dénoncer la hausse minime de la TVA est du « consumérisme », c’est-à-dire une vision court-termiste qui s’oppose à « l’industrialisme », soit la priorité donnée au redressement des capacités productives ; le moment est celui du redressement, avec ce « pacte économique » ; ce n’est que lorsqu’il aura permis de relancer la croissance qu’il sera temps d’exiger une contre-partie sociale, des compensations salariales ; en attendant, il faut seulement s’assurer que ce qui est pris aux ménages et donné aux entreprises ne se retrouve pas dans les poches des actionnaires.

Jacques Julliard a bien compris la stratégie macro-politique de François Hollande. Et son talent pour retranscrire une pensée complexe est à nouveau illustré. Mais trois pages plus loin, c’est le fondateur de Marianne qui, indirectement, fait un trou dans cette toile si proprement peinte. Dans une tribune sur deux pages, Jean-François Kahn rappelle que le manque de compétitivité des entreprises françaises n’est que très marginalement causé par le coût du travail. Pour l’ex-journaliste, la réduction du problème à cette dimension du coût du travail a été imposé par la droite, avant d’être matraquée par les médias, comme une pensée unique qui, maintenant qu’elle est reprise par le gouvernement, est reniée par ses premiers militants. Si l’on reprend cette analyse pour répondre à Jacques Julliard, on peut conclure que les fondements de « l’industrialisme » de l’Exécutif socialiste reste enfermé dans un carcan idéologique issu du sarkozysme.

 

A LIRE AUSSI

Parce qu’il n’y a pas que le pacte de compétitivité dans l’actualité, prenez aussi le temps de lire :

  • Un dossier sur le « mariage homo » titré « Les réacs se déchainent ». Les journalistes de Marianne analysent la stratégie de communication des Eglises et de la droite, qui semble porter ses fruits puisque les sondages d’opinion montrent un recul des français, sur un an, sur les questions du mariage et de l’adoption. Il faut dire aussi que les socialistes sont eux-mêmes divisés et Hollande peu intéressé…

 

  • Le papier d’Eric Conan sur le partenariat public-privé de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Un projet qui a besoin de CRS pour s’appliquer et qui reçoit des critiques, non seulement du « folklore » protestataire habituel, mais aussi d’élus de la gauche de premier rang (Montebourg, Royal, Cohn-Bendit, Duflot,…).
  • La tribune de Laurent Baumel et François Kalfon, élus PS et animateurs des réseaux Gauche populaire. Selon eux, la baisse de popularité du gouvernement ne s’explique pas par une « droitisation » de la société – comme on l’entend souvent -, mais par une « perception en demi-teinte » de son budget par les classes populaires, qui ont l’impression d’avoir encore à payer la crise. Dommage que le propos, malgré un flou bien entretenu, induit que pour ête sociale et populaire, la gauche devrait être moins libérale sur les questions sociétales et culturelles…