Indignez-vous ! Déclencheur de mobilisations populaires et pourfendeur de la politique de François Hollande, le Front de gauche voudrait battre le Parti socialiste aux élections européennes et prendre la tête du gouvernement. Rencontre avec Eric Coquerel, conseiller de Jean-Luc Mélenchon et secrétaire national du Parti de gauche (composante du Front de gauche) en charge des relations unitaires et des élections européennes, pour faire le point sur la stratégie de « l’autre gauche ».

 

Ce weekend, vous organisez des manifestations contre l’austérité dans une cinquantaine de villes. N’est-ce pas un trop gros challenge ?

On verra s’il y a de l’énergie. La résignation est notre principal adversaire. Depuis 2008, les gens n’adhèrent plus au système, mais on leur a mis dans la tête qu’on ne peut rien faire. Du coup, notre travail, c’est de proposer des mots d’ordre qui synthétisent la situation, dans un langage compréhensible par tous. Nous avons la meilleure stratégie pour éviter le pire : qu’on donne les clés au Front national.

 

Vous mobilisez surtout des syndicalistes dans la rue et Jean-Luc Mélenchon a peu convaincu les jeunes et les catégories populaires en 2012. Difficile d’être entendu ?

À moyen terme, le Front de gauche doit devenir un « Front du peuple ». On n’a pas encore touché tous les 30-40 % de gens qui ne croient plus en la gauche et la droite. Nous sommes en course de vitesse avec le Front national pour leur apparaitre comme un débouché politique. Mais le 5 mai, notre « marche citoyenne » à Paris était plus populaire que celles de 2012 et nous avons touché le peuple de gauche, y compris ceux qui ont voté Hollande.

 

Avec 30.000 personnes selon la préfecture et peu d’écho médiatique, le 5 mai était-il une réussite ou un échec ?

On n’attendait pas de cadeaux du Ministère de l’Intérieur, ni d’objectivité des médias. Mais c’était un évènement historique. 180.000 personnes qui défilent, pas contre une loi, mais sur une question globale. Ils ont compris – mieux que je l’imaginais – qu’il faut à la fois lutter contre l’austérité et rétablir la souveraineté démocratique en Europe et dans l’entreprise, là où le système est le plus pernicieux. Ils sont partis de cette marche avec une énergie importante. On en aura les effets de manière différée. Le processus pour les européennes a commencé le 5 mai.

 

Vous êtes donc, en quelque sorte, entré en campagne pour les européennes. Quel est votre objectif ?

Nous allons essayer d’être devant le PS, qui va s’effondrer. Peu importe si le cumul des droites dépasse celui des gauches : on ne peut pas les sauver, on nous dirait « vous êtes avec eux ! » et c’est le FN qui raflerait la mise. Et puis cela démontrera que nous sommes majoritaires au sein du peuple de gauche, qui a élu François Hollande, lequel devra changer de cap. C’est notre stratégie de la « majorité alternative », qui se traduira par l’arrivée à Matignon de Jean-Luc Mélenchon ou Pierre Laurent.

 

Mais même vos alliés de la gauche du PS ont publiquement discrédité la proposition de Jean-Luc Mélenchon de devenir Premier ministre…

Leur problème, c’est qu’on leur renvoie l’image de leur impuissance. Comme nous, certains députés socialistes ont refusé l’Accord interprofessionnel sur l’emploi ou ont défendu l’amnistie sociale. François Hollande s’éloigne de leur ligne, il serait logique de quitter la majorité, mais ils ont du mal à faire le pas nécessaire. Pour préparer le 5 mai, on a rencontré Emmanuel Maurel, Pascal Cherki, Marie-Noëlle Lienemann,… Aucun n’est venu, au contraire d’Eva Joly par exemple. J’observe que ça bouge plus du côté d’Europe-Écologie.

 

Vous dites que les écologistes sont plus réceptifs que la gauche du PS. Bientôt de nouvelles alliances ?

Ça peut avoir des incidences sur les municipales. On n’exclue pas, sur une base de non-accord avec la politique du gouvernement, des alliances avec Europe-Écologie. En tout cas, la construction de la majorité alternative ne peut pas être tributaire de gens dont nous ne savons pas si ils bougeront, sinon on risque d’attendre longtemps. Donc l’objectif principal du Front de gauche, c’est d’être un déclencheur vis-à-vis des mouvements sociaux et du peuple.

 

Vous êtes donc prêt à faire sans les socialistes. Pourtant, pour les municipales, vos alliés communistes n’ont pas tranché la question…

Les municipales de 2014 ne sont pas simples pour le Front de gauche. Au Parti de gauche, on est un peu les soldats de l’An II. Nos vaisseaux n’existent pas. On peut aller à l’essentiel sans être « alourdis » par les considérations financières et matérielles. C’est plus difficile pour le Parti communiste et tous ses élus. On respecte ça, mais on leur dit qu’ils vont plonger avec les socialistes s’ils ne rompent pas avec eux dans les grandes villes. Ils se sont donnés jusqu’à décembre pour faire leur choix. Je pense qu’on va les convaincre, surtout avec la réforme des retraites que prépare le gouvernement.