En créant ce blog, je me suis placé face à un dilemme. Si je suis ici, c’est d’abord parce que je suis un étudiant qui aspire à devenir journaliste politique et qui a donc besoin d’écrire, de produire des choses, de ne pas rester simple spectateur de l’actualité. La tenue d’un blog politique est donc la solution que j’ai choisie pour satisfaire ce besoin. Mais alors que l’on peut admettre que les blogs politiques sont d’autant plus intéressants qu’ils sont subjectifs (donc souvent engagés), l’air du temps veut que l’on préfère bannir les traces de subjectivité et d’engagement dans le travail journalistique. Comment alors trouver ma place entre ces deux logiques ?

Je ne sais pas encore quel ton et quel style je vais adopter sur ce blog. Pour le moment, je tente une approche en relatif « surplomb » tout en essayant d’être intéressant, mais peut-être évoluerai-je très rapidement vers davantage d’engagement, ou vers un style d’écriture plus spontané, moins journalistique. Peut-être alternerai-je. On verra.

Dans un monde parfait, je ne devrais pas avoir à me poser ces questions. Dans un monde parfait, les journalistes politiques pourraient s’engager, ils n’hésiteraient pas à employer la première personne, ils assumeraient leur subjectivité plutôt que de mettre en scène cette sacro-sainte objectivité journalistique, ils défendraient Audrey Pulvar et tant d’autres journalistes critiqués par un public qui ne détient pas toujours les clés du débat sur la déontologie et l’objectivité dans le domaine journalistique. Dans un mémoire de recherche en sociologie des médias, j’écrivais il y a quelques mois :

L’objectivité, par définition, ne peut pas être atteinte par un journaliste. Tout regard, toute perception et analyse de la réalité reste subjective. On ne peut sérieusement parler que de degrés se subjectivité. Aussi Gaye Tuchman a-t-elle très bien expliqué que le principe d’objectivité permet surtout aux journalistes de se prémunir de toute critique6. Il s’agit en fait d’un ensemble de rituels stratégiques, d’une panoplie de marqueurs d’objectivité, qui viennent avant tout manifester l’idée que les journalistes ont bien fait leur travail. L’objectivité s’inscrit ainsi dans trois registres : un registre formel, qui s’observe dans la manière dont les journalistes usent de formes qui marquent la distance à l’égard du sujet qu’ils traitent (usage des guillemets, présentation ostentatoire de points de vue contradictoires, données factuelles rapportées pour confirmer les énoncés) ; un registre organisationnel (on retiendra ici que les journalistes donnent la priorité aux sources institutionnelles, présumées détenir une autorité peu discutable, mais se tiennent aussi à un découpage par rubrique qui permet de spécifier les espaces où il y a le plus de subjectivité) ; et un registre de conformation au sens commun, une forme d’anticipation de l’évidence, les journaux adoptent une prudence éditoriale et évitent de publier tout ce qui va à l’encontre du sens commun ou d’un imaginaire commun.

 

Avec une bonne dose de provocation, c’est ensuite sur le mode de l’hypothèse que j’écrivais :

Pour certaines personnes, tous les médias sont de droite, car concentrés par de grands groupes capitalistes. Pour d’autres, tous les médias sont de gauche, parce que la grande majorité des journalistes se déclarent de gauche. En réalité, les médias ne sont pas politiquement engagés dans un camp ou dans l’autre, mais plutôt producteurs d’une forme de neutralisation idéologique du paysage démocratique. En effet, plutôt que de travailler l’information (rechercher, enquêter, raconter de façon originale et proposer une grille d’analyse commentée), les grands médias, de manière totalement formatée, reprennent un corpus d’informations uniforme, sans y apposer de regards idéologiques. Conclusion : on généralise, on uniformise, on affadit, on dé-clive. Malgré la persistance d’une presse française historiquement construite comme une presse d’opinion, malgré surtout le développement de médias alternatifs, ce mouvement propre aux médias les plus puissants en audience n’est pas satisfaisant sur le plan de la démocratie, qui aurait plus à gagner de clivages idéologiques assumés entre grands médias d’opinion, pour faire renaître débats et perspectives d’avenir pour des citoyens un peu trop perdus et impuissants face à une information multiple, complexe et insensée.

En tant que journaliste politique, je pourrai peut-être un jour défendre cette conception du métier, au sein d’un des quelques médias qui aujourd’hui partagent à peu près mon point de vue. D’ici là, je connaitrai sans doute la précarité, qui m’amènera à accepter d’exercer un journalisme plus conventionnel, ce sera déjà une chance à saisir. Au début, il me faudra sans doute me gaver d’actualité toute la journée et la restituer en quasi-temps réel avec tous les marqueurs d’objectivité qui vont bien, éventuellement être original mais sans m’engager. Je ferais donc bien de prendre ces habitudes tout de suite, sur ce blog. Ou pas…

Une réponse sur « Journalisme : l’essentielle subjectivité »

Les commentaires sont fermés.