Voici un article rédigé dans le cadre d’un cours de journalisme économique.

Invité du «Grand Jury» RTL/Le Figaro/LCI dimanche, Claude Bartolone a dénoncé «le côté absurde» de la limitation du déficit public à 3% du PIB alors que la croissance stagne en Europe. «3% dans une période de croissance et 3% dans un moment où l’Europe est confrontée à ces difficultés économiques, ce n’est pas la même chose», a déclaré le président de l’Assemblée nationale. En septembre sur Radio J, le socialiste avait déjà jugé que cet objectif était «intenable».

Le ministre délégué au Budget minimise les propos de son camarade socialiste : «je pense que ce qualificatif [absurde, ndlr] dans la bouche de Claude Bartolone, que je connais bien, veut simplement dire que ce sera difficile», a réagi Jérôme Cahuzac sur BFM TV. Difficile ? C’est le moins que l’on puisse dire, sachant que la croissance française – dont dépendent les recettes de l’Etat et donc le déficit – ne devrait pas dépasser 0,1% cette année et 0,4% l’année prochaine, selon le Fonds Monétaire International (pour le moment, le gouvernement espère 0,8%). L’opposition le sait. La voir défendre les 3% («tout sauf absurde», clamait ce matin François Baroin, ministre du Budget sous Nicolas Sarkozy) est sans doute la meilleure preuve que l’objectif est déraisonnable.

CE QUE LE GOUVERNEMENT COMPTE FAIRE

En réalité, le gouvernement en est également conscient et a une stratégie : pour respecter sa promesse, il faudrait que le déficit conjoncturel – causé par la crise – ne soit pas comptabilisé. Le pacte budgétaire européen, récemment ratifié par la France, «parle d’ »équilibre structurel” des finances publiques, ce qui signifie que l’on peut aussi tenir compte des situations de crise. Il n’est pas le carcan que l’on décrit !», a expliqué Jean-Marc Ayrault à nos confrères de Mediapart. L’objectif serait donc d’atteindre 3% de déficit structurel et non plus 3% de déficit tout court. En attendant que cette interprétation soit actée au niveau européen, le gouvernement doit donc faire bonne figure pour éviter une sanction des marchés : «les engagements pris seront tenus», a martelé le ministre de l’Economie Pierre Moscovici, ce matin sur France 2.

La critique de la règle des 3% est une critique anti-austérité. En cela, elle s’insère dans un mouvement qui rassemble de plus en plus d’acteurs économiques. Parmi eux, des orthodoxes – et pas des moindres – tel le FMI. Fer de lance de l’austérité jusqu’à il y a encore 6 mois, il voudrait désormais donner un délai supplémentaire à la Grèce pour atteindre les objectifs insensés qui lui ont été fixés. «Au lieu d’une réduction frontale et massive, il est parfois préférable d’avoir un peu plus de temps étant donné que beaucoup de pays sont actuellement engagés dans des politiques de réduction des déficits», déclarait Christine Lagarde, présidente du FMI, en assemblée annuelle de l’institution et de la Banque mondiale à Tokyo. Au quotidien autrichien Standard, le président du Parlement européen, Martin Schultz, dit être contre «une orgie d’austérité». Des partenaires économiques tels les Etats-Unis et des pays d’Amérique Latine s’inquiètent de la cure autérito-suicidaire que s’inflige le vieux continent. Il n’y a guerre que l’Allemagne à n’avoir pas encore saisi que la décadence à laquelle elle pousse ses voisins nuirait bientôt à ses exportations et causerait sa perte à elle aussi.

TROP DE MAUX, TROP TARD

L’approche des élections allemandes pourrait enfin mener Angela Merkel à modérer son conservatisme. Alors débouchera-t-on sans doute sur un assouplissement. Peut-être étalerons-nous l’effort dans le temps. Peut-être les 3% seront-ils seulement évalués à l’aune du déficit structurel. Mais que de souffrances économiques et sociales d’ici là.

Voilà pourtant trois ans que des voix s’élèvent pour dire que cette Europe-là va dans le mur. En France, elles sont essentiellement à la gauche du PS et chez les «économistes atterrés». Elles ont butté contre une orthodoxie libérale, elle-même hypnotisée par le «3%». Un chiffre magique, fixé par le traité de Maastricht, mais inventé «sur un coin de table»… par un haut fonctionnaire français, Guy Abeille, en 1981. Il l’a raconté au Parisien : «le directeur du Budget de l’époque […] nous a dit : « Mitterrand veut qu’on lui fournisse rapidement une règle facile, qui sonne économiste et puisse être opposée aux ministres qui défilaient dans son bureau pour lui réclamer de l’argent ». On a imaginé ce chiffre de 3% en moins d’une heure, il est né sur un coin de table, sans aucune réflexion théorique. » 20 ans plus tard, on attend encore que cet objectif des 3% apparaisse à tous pour ce qu’il est : un dangereux artefact.