Une étude publiée par la Société française de pédiatrie souligne la dangerosité du port de collier de dentition en ambre chez les nourrissons. Un bijou aux vertus thérapeutiques contestées par les scientifiques, pourtant parfois vendu en pharmacie. Enquête.

L’ambre sert d’amulette depuis des siècles. Au Moyen-Âge, elle repoussait les mauvais esprits, aujourd’hui elle chasse le pire démon des parents : les pleurs de son enfant pendant une poussée dentaire ! Le docteur Isabelle Claudet, pédiatre au CHU de Toulouse, constate dans un mémoire que « 40 à 45% des enfants en consultation sont porteurs de ce type de collier». Elle ajoute : « Depuis deux ans, c’est en augmentation ». Raison de ce succès ? Les colliers d’ambre auraient des vertus anti-inflammatoires et donc apaisantes pour les bébés en phase de poussée dentaire.

DES MAMANS QUI Y CROIENT

Céline, mère de trois enfants, reconnaît que c’est une amie qui lui a parlé des effets de ce bijou. « Je ne connaissais pas l’existence de ce collier lors de la naissance de ma fille aînée et elle a beaucoup souffert des dents, se souvient-elle. En revanche, mes deux derniers en ont porté et ils n’ont jamais montré de signe de douleur ». Coïncidence ou croyance ? Elle jure avoir agi de la même manière, à période identique, avec ses trois enfants : « Je n’ai pas d’explication. » Le message passe de maman en maman, l’objet s’offre en cadeau de naissance, s’achète sur internet, en magasin bio ou en bijouterie. Un réseau de distribution si divers que personne n’est aujourd’hui en mesure d’évaluer l’ampleur du marché.

Toutes les mères ne sont pas convaincues de l’efficacité de ce bijou. « Je n’y crois pas du tout, et c’est surtout très dangereux » note Laurence, mère de trois enfants également. Dangereux oui, car les risques d’étranglement et d’inhalation des perles sont réels. L’étude publiée par la Société française de Pédiatrie (SNP), menée auprès de 29 parents sous forme d’entretiens, montre que « les parents reconnaissent le caractère bénin de la poussée dentaire mais en redoutent les symptômes. Ils utilisent un collier même si le risque d’étranglement ne surpasse pas leur crainte de voir leur enfant souffrir ».

LA SCIENCE CONTRE LA LITHOTHÉRAPIE

L’ambre vaut-elle la peine de mettre en péril la vie de son enfant ? Selon Annie Perrier, lithothérapeute (elle soigne avec des pierres et des minéraux) à Evian, « dès qu’il y a une inflammation quelque part, l’ambre a une bonne influence. Même sur ceux qui n’y croient pas, je constate une amélioration ». La lithothérapie voue des vertus aux pierres en général. « Dans le corps, on a des choses en résonance par rapport à la pierre et les bienfaits de l’ambre sont vantés dans des écritures datant de 500 av. J-C », complète-t-elle.

André Holbecq, minéralogiste, rétorque : « Pline l’Ancien [philosophe latin, ndlr] au 1er siècle expliquait déjà que des mensonges étaient débités sur cette substance. » Pour le scientifique, nous avons affaire à une      « croyance liée à un manque de culture ». Si certaines pierres ont des effets sur l’homme – comme la bétafite, qui peut être mortelle – l’ambre n’en a aucun. La seule vertu de ce collier serait psychologique : « La mère se rassure en ayant l’impression d’avoir tout fait pour le bien-être de son enfant ».

« La vérité scientifique prouve que l’ambre est un isolant thermique, explique le minéralogiste. Il n’y a pas d’échange possible, contrairement à ce qu’indiquent de nombreux charlatans, qui font croire que l’ambre produit de l’énergie alors qu’elle ne fait que refléter la chaleur du corps qui la touche. » Du charlatanisme, une croyance, de l’ignorance… Les doutes autour de cette résine fossilisée demeurent, mais ses adeptes sont rassurés quand il s’agit de s’en procurer.

VENDU EN PHARMACIE 

Leurs vertus thérapeutiques ont beau ne pas être prouvées par la science, les colliers d’ambre sont vendus par certains pharmaciens. Sur quatre officines visitées dans le IXe arrondissement de Paris, deux en proposent. Il en est une où l’objet est même déroulé comme un bijou sur son présentoir, tandis qu’un écriteau vante ses « propriétés électrostatiques ». La préparatrice de la pharmacie est elle-même convaincue : « L’ambre, ça a comme des ondes, c’est bien connu. »

Certains colliers d’ambre sont vendus par des laboratoires pharmaceutiques et les officines sont démarchées régulièrement par des commerciaux qui en proposent. Mais ici, le collier est de marque Syrey, petite entreprise de relais. Son gérant, Reynald Manson, vante la sécurisation de du collier (avec notamment un fermoir qui s’ouvre en cas de tension, pour éviter la strangulation) mais pas les vertus de l’ambre : «On ne lui en prête aucune, affirme-t-il. Chacun est libre d’y croire, mais à aucun moment on ne certifie noir sur blanc que c’est un produit fiable sur le plan curatif. »  Pourtant, il est écrit sur l’étiquette que « le collier doit être porté à même la peau ». La précision peut induire que le collier agira sur le corps et donner du crédit aux croyances dans les vertus de l’ambre.

L’ORDRE INAUDIBLE

Un crédit d’autant plus grand que le produit se trouve en pharmacie, lieu symbolique de la santé et générateur de confiance. « Il y a 5 ans, on ne vendait qu’aux bijouteries, rappelle Reynald Manson. Mais on a eu des demandes d’officines et l’Ordre des pharmaciens nous a alors dit : ‘chacun est libre de faire ce qu’il veut’ ».

Depuis, l’Ordre a pris position contre la vente de ces colliers. Dans l’édition de mars 2012 de son Journal professionnel, il est écrit que « les bijoux ne font pas partie de [la] liste » des marchandises vendables en officine (fixée par arrêté ministériel). Les colliers dentaires en ambre seraient d’ailleurs un « exemple » de « charlatanisme »

La Société française de pédiatrie a demandé à l’Ordre d’interdire la vente de colliers d’ambre dans les officines. Mais l’organisme n’a pas le pouvoir de faire retirer un objet des rayons parapharmacie. L’Ansm (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) n’est pas compétente non plus : elle ne fait qu’interdire des publicités. Reste la DGCCRF (répression des fraudes). Mais de l’aveu d’une pharmacienne à Paris, « les contrôles sont trop rares ». « D’ailleurs, je suis incapable d’assurer que j’ai bien le droit de vendre tous les produits qui sont ici », ajoute-t-elle. Espérons que cette histoire d’ambre n’est pas l’arbre qui cache la forêt.

 

 

Article co-écrit avec Marion Dubois, dans le cadre d’un enseignement de l’IPJ.